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Les assemblées citoyennes en Irlande : une décennie d’expérience

Expérience | Délibération et mini-publics délibératifs

Thématiques
Autre


Niveau de gouvernance
Fédéral


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Co-construction | Co-décision


Action de participation
Exprimer une opinion | Construire un avis collectif | Prendre des décisions


Méthodes de participation
Panel citoyen et assemblée citoyenne


Valeurs démocratiques
Délibération | Transparence | Devoir de suite


Contexte

L'Irlande a acquis une expérience significative en matière de démocratie délibérative au cours de la décennie 2010 : d'abord avec la convention constitutionnelle (2012-14), qui a abordé entre autres le mariage homosexuel et la fin de l'interdiction du blasphème, puis avec l'assemblée citoyenne (2016-18), suivie de plusieurs éditions de celle-ci en 2022 et 2023.

Alors que la première assemblée, la convention constitutionnelle, était une assemblée mixte entre citoyens et politiciens (66 citoyens tirés au sort et 33 politiciens), toutes les autres assemblées citoyennes depuis lors sont composées uniquement de citoyens.

L'assemblée citoyenne de 2016-2018 a abordé cinq questions au cours de onze week-ends, notamment le droit à l'avortement, le vieillissement de la population, le changement climatique et la manière dont les référendums sont organisés, ainsi que les mandats parlementaires à durée déterminée.

La particularité de l'expérience irlandaise est que six propositions élaborées par les assemblées citoyennes ont été soumises à un référendum national et que trois d'entre elles ont été acceptées par la population irlandaise. L’expérience irlandaise est un exemple d’articulation entre une assemblée qui élabore des propositions et la population générale qui peut se prononcer sur elles. Dans ce cas, on parle parfois du référendum comme lien entre un mini-public et un maxi-public.  En Irlande, toutes les questions relatives à la modification de la Constitution doivent faire objet d’un référendum. C'est pourquoi les changements proposés par les assemblées citoyennes concernant la Constitution sont soumis à la société par référendum, mais pas nécessairement les autres sujets.

Objectifs et Mobilisation

Dans la suite de ce texte, la présentation des détails pratiques se fonde sur les week-end dédiés au changement climatique, en octobre et novembre 2017. En effet l’organisation connaît des légères adaptations suivant les thèmes.

L'assemblée citoyenne était composée de 99 citoyens, tirés au sort, suivant une stratification en termes d'âge, de sexe, de classe sociale et de répartition régionale. La 100ème personne est la présidente de l’assemblée, en la personne de Mary Laffo, juge suprême à la retraite. Les citoyens étaient invités à discuter de la question : « Comment l'État peut-il faire de l'Irlande un leader dans la lutte contre le changement climatique ? »

Au cours du premier week-end, les citoyens ont abordé la science du climat, les impacts du changement climatique et la politique énergétique. Le deuxième week-end s'est concentré sur les secteurs de l'énergie, des transports et de l'agriculture et a permis d'élaborer les recommandations finales de l'assemblée. Ces secteurs ont été identifiés comme les plus grandes sources d'émissions en Irlande (Knoca, Knowledge network on Climate Assemblies).

L'un des aspects saillants de cette assemblée citoyenne a été la coopération avec la société civile et les parties prenantes. L'assemblée a reçu 1205 soumissions publiques sur le sujet provenant d'organisations non-gouvernementales, de groupes représentatifs, de groupes de défense environnementaux ou autres, de partis politiques, d'entreprises, d'universitaires et de citoyens. Ils ont soumis des messages ou des rapports écrits pour participer aux délibérations de l’assemblée sur le climat. Selon le site web de l'assemblée, les soumissions publiques ont joué un rôle clé en aidant le secrétariat et le groupe consultatif d'experts à élaborer le programme de travail de l’assemblée.

Les sessions d’apprentissage ont pris en compte diverses formes de connaissances et ont parfois inclus des témoignages et des histoires personnelles de personnes ayant une expérience en lien avec le sujet. Après le premier week-end, les participants ont été invités à suggérer des questions sur lesquelles ils aimeraient voter. Sur la base de ces suggestions, le président et le secrétariat, avec l'aide du groupe consultatif d'experts et du groupe de pilotage, ont préparé les questions , qui ont ensuite été soumises à la délibération pour servir de projet de bulletin de vote. Ce bulletin de vote provisoire a ensuite été envoyé à l'ensemble de l'assemblée citoyenne avant la deuxième session du week-end. Au cours de la semaine précédant la deuxième session, les participants ont été invités à faire part de leurs commentaires, suggestions, modifications et remarques (voir en ligne).

Lorsque le bulletin de vote a été accepté, chacune des 13 recommandations a fait l'objet d'un vote à bulletin secret (vote à la majorité). Les délibérations sur le changement climatique ont obtenu le score le plus élevé de toutes les questions examinées, 80 % ou plus des citoyens ayant voté pour chaque recommandation (voir en ligne).

Résultats et suites

Les membres de l’assemblée citoyenne ont conseillé le gouvernement sur la gouvernance du changement climatique en transmettant 13 recommandations. Un comité parlementaire spécial, le Joint Oireachtas Committee on Climate Action (JOCCA) a été créé en juillet 2018, qui a influencé le plan d’action « Climate Action Plan » du gouvernement en 2019 et la loi « Climate Action Bill » de 2020, afin d'évaluer les recommandations de l'assemblée et d'y répondre.

Il a examiné les 13 recommandations sur une période de sept mois et a fourni une réponse détaillée à chacune d'entre elles. La JOCCA a développé les recommandations des citoyens en 42 recommandations prioritaires et 39 recommandations supplémentaires, telles qu'une révision complète de la loi-cadre sur le climat de l'État de 2015.

Si le comité a largement accepté les recommandations des citoyens, il a rejeté la proposition centrale d'une taxe générale sur le carbone et d'une taxe sur les gaz à effet de serre pour le secteur agricole.

En conclusion, l'influence de l'assemblée citoyenne irlandaise sur la politique climatique est remarquable, car d’ampleur inédite. L’assemblée citoyenne a en effet contribué aux nouvelles structures de gouvernance et de responsabilité esquissées dans le Plan d'action pour le climat, et les mesures d'atténuation et d'adaptation qu'elle a proposées ont été largement adoptées.

Apprentissage

En ce qui concerne l'inclusion, les organisateurs n'ont pas réussi à suffisamment mobiliser les groupes socio-économiques défavorisés et les agriculteurs, qui étaient largement sous-représentés dans l'assemblée. Cela peut s'expliquer par le fait que l'assemblée citoyenne ne rémunérait pas ses membres pour leur participation, ce qui rendait certainement la participation aux week-ends impossible ou trop coûteuse.

Une autre limite concerne les conditions légales de participation. Pour pouvoir participer à l'assemblée, les participants doivent être inscrits sur les listes électorales et être autorisés à participer à un référendum. Cela signifie que seules les personnes ayant la citoyenneté et âgées d'au moins 18 ans peuvent participer à l'assemblée citoyenne.

À partir de 2020, les assemblées de citoyens ne discutent plus d'une série de sujets différents au cours d'une même assemblée (ce qui était un héritage de la première convention constitutionnelle), mais se concentrent sur un seul sujet, comme les assemblées sur l'égalité des sexes (2020-2021), la perte de biodiversité ou le maire de Dublin élu au suffrage universel direct (tous deux en 2022) et la consommation de drogues (2023).  

Lors du dernier référendum (qui a inclut une double votation), le 8 mars 2024, les électeurs irlandais ont voté, contre la recommandation de l'assemblée citoyenne, de réécrire la constitution irlandaise de 1937 pour supprimer les paragraphes concernant le rôle des femmes et la nature de la famille. À la question de savoir s'il fallait élargir la définition de la famille pour y inclure les "relations durables", 67 % des citoyens ont voté contre. Quant au remplacement d'une référence aux femmes au foyer par une nouvelle disposition reconnaissant le rôle des soignants au sein de la famille (sans en définir le genre), 74 % des électeurs ont voté contre. Le taux de participation a été de 44 % 

David Farrell, politologue irlandais et consultant international sur les assemblées citoyennes, a déclaré que l'assemblée n'était pas déconnectée du grand public, mais que le gouvernement avait produit une formulation qui ne reflétait pas les recommandations de l'assemblée citoyenne. Ainsi, le gouvernement a largement ignoré ses recommandations au lieu de les utiliser, comme il l'a fait dans le cas du référendum sur l'avortement. Le politologue a appelé à une plus grande transparence durant la phase cruciale où les représentants du gouvernement ont reçu les recommandations de l'assemblée et décident de ce qui sera soumis à un référendum et de la manière dont cela sera formulé (voir en ligne). 

L'Irlande, qui a longtemps été considérée comme le pays modèle en matière d'assemblées citoyennes, doit, comme tous les pays, tirer les leçons de ces dernières expériences et continuer à améliorer les innovations démocratiques mises en place.