Le dialogue citoyen permanent en communauté germanophone (Ostbelgien)

Contexte

L'Est de la Belgique est une entité fédérale qui représente la Communauté germanophone en Belgique. Elle est dotée de pouvoirs législatifs et exécutifs sur ses compétences. Le 25 février 2019, le Parlement de l'Est de la Belgique a adopté à l'unanimité un décret [2019/201683] qui institue un « dialogue citoyen permanent ».

Il s'agit de la première région au monde à se doter d'un conseil citoyen permanent, mandaté par la loi, avec la possibilité d'assemblées citoyennes annuelles. Il est innovatif à trois égards : sa pérennité, son lien étroit avec le fonctionnement du Parlement et l'articulation du conseil citoyen permanent avec des assemblées citoyennes pouvant être convoquées par ce dernier (Niessen, Reuchmaps, 2019, p.5).

Objectifs

Comme d'autres processus délibératifs, le dialogue citoyen permanent de l'Est de la Belgique vise à impliquer les citoyens dans le développement des politiques publiques.

Des responsables politiques impliqués dans la mise en place du dialogue citoyen y voient un moyen de pallier les lacunes du modèle électoral représentatif : baisse de la confiance et montée de la défiance. Ses promoteurs souhaitent aussi renforcer la légitimité des élus, en montrant que les politiciens peuvent être sensibles aux besoins et souhaits des citoyens. Ils visent  également à ce que le dispositif favorise l'attachement de la population aux institutions de la petite entité fédérale, voire que cela renforce la visibilité et l'identité de la communauté germanophone (Macq, Jacquet, 2021).

Mobilisation et formats de participation

Trois instances constituent le dialogue citoyen permanent :

Un conseil citoyen :

24 citoyens qui se réunissent tous les mois (sur 18 mois). Les membres sont choisis aléatoirement parmi les anciens participants aux assemblées citoyennes.

Premièrement, il a un rôle de définition de l'ordre du jour. Il peut créer des assemblées citoyennes au cours de son mandat (cinq assemblées maximum par législature parlementaire) et décide de leurs thèmes. Le conseil citoyen peut également recevoir des propositions à ce sujet.

Deuxièmement, le conseil joue un rôle de suivi, en veillant à ce que les recommandations de ces assemblées citoyennes soient présentées et débattues au parlement et reçoivent une réponse de la part de la commission parlementaire et du ministre concernés. Le processus, depuis l'établissement de l'ordre du jour jusqu’au suivi, peut durer jusqu'à deux ans.

Ce conseil citoyen se renouvelle par tiers à la fin de chaque assemblée citoyenne.

Les assemblées citoyennes

Chaque assemblée citoyenne est composée d'une trentaine de citoyens sélectionnés par tirage au sort, qui se réunissent au moins trois fois en trois mois. Les citoyens doivent être âgés d'au moins 16 ans et vivre dans la Communauté germanophone pour pouvoir participer au panel. Ils sont représentatifs de la population dans son ensemble en termes de sexe, d'âge, du niveau d'éducation et de lieu de résidence.

Ce groupe de citoyens tirés au sort s'informe d'abord sur le sujet en question, délibère et formule des recommandations à l'attention des politiques. Les discussions sont encadrées par un modérateur professionnel externe.

En règle générale, les décisions de l'assemblée citoyenne sont prises au consensus. Si, après des tentatives répétées aucun accord n'est trouvé, une décision peut être prise à la majorité des 4/5^ème, avec un quorum d'au moins 4/5^ème des participants de l'assemblée citoyenne.

Les citoyens qui ont voté contre la décision peuvent justifier leur désaccord dans un avis minoritaire qui sera joint à la décision.

Un secrétariat

Il s'agit d'un agent fonctionnaire à temps plein, employé par le Parlement, en charge de réaliser le tirage au sort, d'assurer le service et d'organiser les assemblées, avec notamment la préparation des informations et sélection des experts. Ce fonctionnaire accompagne également le conseil citoyen dans la phase de suivi des recommandations.

Lien vers le schéma

Résultats et suites

Le parlement régional reçoit les recommandations et les discute en audience publique. En général, le suivi des recommandations faites par les assemblées citoyennes se fait par le biais de trois réunions publiques filmées de la commission parlementaire concernée par le sujet.

Lors de la première réunion, les recommandations sont présentées par l'assemblée citoyenne. Lors de la deuxième réunion, les politiques de la commission réagissent une première fois aux recommandations. Lors de la troisième réunion, un an plus tard, les acteurs politiques doivent dire quelles recommandations ont été acceptées, lesquelles ne l'ont pas été, pourquoi et comment elles sont maintenant mises en œuvre.

Il s'agit d'une procédure réglementée, intégrée dans le fonctionnement du Parlement et de l'administration, et dont les modalités n’ont pas à toujours être réinterprétées, comme c'est souvent le cas dans les autres dispositifs de démocratie délibérative. Cette prévisibilité est un point positif et un aspect assez unique du dispositif.

En dehors de ces trois réunions publiques, des intersessions peuvent avoir lieu pour permettre aux citoyens et aux politiques d'échanger de manière plus informelle et sans caméra. En outre, le Parlement a décidé que si le sujet est abordé au Parlement à d’autres occasions, alors  les membres du conseil citoyen peuvent également participer à ces réunions de commission. Les politiques ont donc choisi d'impliquer étroitement les citoyens au-delà des réunions de l’assemblée citoyenne.

Depuis 2020, six conseils citoyens et assemblées citoyennes ont été convoqués sur les thèmes des soins, de l'éducation inclusive, du logement, des compétences numériques, de l'intégration des personnes issues de l'immigration et des compétences des élèves (qui débutera à l'automne 2024).

Le suivi peut prendre du temps. Par exemple, il y a eu encore un débat parlementaire fin 2023 qui a concerné l'assemblée citoyenne qui s'est réunie en 2021 sur le thème du logement. Le site web du dialogue citoyen est transparent à cet égard. Tous les débats publics et les rapports finaux peuvent être retrouvés sur le site sous les assemblées respectives avec leurs recommandations et leur suivi.

Apprentissages

Le dialogue citoyen permanent fait – malgré les défis présentés ci-après – certainement partie des processus de participation institutionnalisée les plus intéressants et les mieux conçus qui existent à l'heure actuelle.

Le 22 avril 2024, le Parlement de la Communauté germanophone a modifié le décret instituant le dialogue permanent des citoyens. Cette modification entre en vigueur le 1er juillet 2024.

L'un des changements les plus importants concerne la manière dont les propositions de thèmes pour les assemblées citoyennes peuvent être faites. Désormais, outre les citoyens issus du grand public et les propositions soutenues par au moins deux citoyens du conseil citoyen, les propositions émanant du Parlement peuvent également être prises en compte. Le décret amendé prévoit que le Parlement, par le biais de son porte-voix, le Bureau, au sein duquel siègent et échangent tous les groupes politiques représentés au Parlement, peut proposer 3 thèmes pour une assemblée citoyenne. Au cours de la législature, c'est-à-dire dans un espace de 5 ans, le conseil citoyen devrait prendre en compte au moins une proposition de thème soumise par le Parlement. Après cinq ans d’expérience du conseil citoyen, il a été décidé qu’il était utile que les politiques puissent également proposer des thèmes.

Deux défis fondamentaux subsistent : d'une part, il reste difficile d'atteindre l'ensemble de la population et de les motiver à participer au conseil ou aux assemblées citoyennes, bien que les citoyens reçoivent une indemnité de présence, ainsi qu’un remboursement des frais de déplacement. Cette difficulté s'explique par le fait que l'engagement demandé, notamment pour le conseil citoyen, est assez important et demande un investissement en temps et en énergie qui peut aller de 18 mois à deux ans. Cela favorise les membres de la communauté les plus intégrés et ayant une forte disponibilité temporelle et matérielle.

D'autre part, bien que le « Ostbelgien Model » soit renommé à l'étranger parmi les praticiens de la participation, il peine encore à se faire connaître dans la région germanophone. La médiatisation du dispositif par les médias locaux doit encore être renforcée pour que les citoyens non seulement connaissent le processus, mais aussi en reconnaissent sa valeur, notamment à travers les résultats qu'il produit.

En outre, la définition des thèmes constitue un défi pour les citoyens. Ils ont parfois du mal à trouver des sujets pertinents pour la communauté dans son ensemble. Leurs propositions portent trop souvent sur des problèmes individuels ou ne concernent pas les compétences de la région.

Le dispositif n'a connu jusqu'à présent qu'une seule législature. Il reste à voir s'il y aura des changements lors de la prochaine législature, après les élections de juin 2024. Cependant, les organisateurs sont très confiants quant au fait que le dispositif bénéficie d'un soutien politique très important et qu'il restera certainement en place après les élections. Cette permanence au-delà d’un premier mandat de mise en œuvre constitue une épreuve importante pour parler effectivement « d’institutionnalisation ».